Exposition de Gérard Paris-Clavel – Lyon

Musée de l’Imprimerie, 13 rue de la Poulaillerie 69002 Lyon du 15 octobre au 27 février 2021

Les images sont vivantes. Elles débordent du cadre, se découpent, coulent et entrent dans nos regards comme des étincelles. Il ne s’agit surtout pas de les enfermer, de les mettre en cage en les labellisant, les tournant droites ou les emmenant là où on voudrait les exposer. Cette vie intime et circulaire des images, toujours en mouvement, est au cœur de la démarche de Gérard Paris-Clavel. De l’atelier à l’imprimerie, de la rue à l’esprit, cette envie du graphiste de jouer avec les lettres, d’aligner l’imprévu en grand et en beau devient sa marque de fabrique, son secret de cuisine. Quoi de plus normal de parler cuisine et métier au Musée de l’Imprimerie et de la Communication graphique, gardien des savoir-faire graphiques et porteur d’un projet naviguant toutes portes ouvertes sur le monde que nous vivons aujourd’hui. Avec Gérard Paris-Clavel, le musée se montrera autrement, les images viendront se déployer dans les rues de Lyon, dans la cour, dans les collections, embrassant toutes les époques de l’art imprimé et toutes les périodes de travail du graphiste, tous les recoins de sa pratique. Belle exposition manifestation d’images à toutes et à tous !

Joseph Belletante, directeur

Reportage de Jérôme Cassou à Télématin ici

Quand tout sera privé, nous serons privés de tout

Une affiche installée dans les rues de Lyon, en France, a inspiré le président mexicain qui y a consacré quelques minutes lors de la conférence du matin : « Vive le service public ». Pie de Página a interviewé l’auteur de l’affiche : Gérard Paris-Clavel, une référence actuelle de l’art graphique populaire français. PARIS, FRANCE – Le graphiste Gérard Paris-Clavel n’aurait jamais pensé qu’une de ses affiches installée sur un abribus de Lyon, une ville du sud de la France, serait photographiée par un Mexicain et que cette photo deviendrait, en quelques heures, virale sur les réseaux sociaux hispanophones, notamment mexicains. Et il a encore moins pensé que trois jours après la capture de cette image, de l’autre côté de l’Atlantique, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador l’a montrée lors de son habituelle conférence matinale, au milieu d’un discours sur le service public, en lisant la phrase qui est, à elle seule, l’essence de l’affiche : « Quand tout sera privé, nous serons privés de tout. Vive le service public. » La vidéo de cette conférence compte, à ce jour, plus d’un million et demi de vues, dont beaucoup ont probablement échangé une conversation sémiotique lorsque l’image de Paris-Clavel est apparue. Pas mal pour un designer qui cherche, justement, à provoquer et à questionner avec ses créations.

Il faut du courage pour parler du service public À l’occasion de cet événement, Pie de Página s’est entretenu avec Paris-Clavel au sujet de l’affiche en question et de son apparition lors d’une conférence au Mexique, du service public, de la politique et de la création graphique, entre autres points. Paris-Clavel est une référence actuelle du graphisme populaire français, dont l’œuvre fait actuellement l’objet d’une exposition rétrospective dans la ville de Lyon. « J’ai été surpris et très heureux que mon image soit vue, mais c’est anecdotique : je suis beaucoup plus intéressé par le fait qu’un président de la République ouvre le débat sur le service public, qui est un élément politique fondamental d’une politique progressiste par rapport à la privatisation du monde ». Je voudrais que le mien (mon président) fasse de même, qu’il mette sur la table la question du service public, la question de la lutte contre les intérêts privés. Il faut du courage. » Gérard Paris-Clavel est un designer dont le travail est lié à des questions politiques et sociales, une constante des collectifs auxquels il a participé tout au long de sa carrière de graphiste, comme Grapus, un groupe qui a marqué le graphisme français dans les années 1970 et 1980, Les Graphistes associés et Ne pas plier, dont il fait actuellement partie. Il a son studio à Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne, qu’il a baptisé « l’atelier du bonjour »

Parlez-nous précisément de cette affiche Viva el servicio público – quand, pourquoi et dans quel contexte avez-vous décidé de la créer ? En 2010, il y a eu un mouvement général en France sur le service public à l’initiative du secteur social français, c’est-à-dire des syndicats et des associations avec de nombreuses initiatives pour sensibiliser le public sur la question. J’ai créé une association appelée Ne pas plier et nous avons organisé des marches d’information dans la ville en faveur du service public. D’où le titre « Vive le service public ». Nous avons organisé des promenades autour de La Poste (entreprise publique française qui fournit des services postaux, bancaires et téléphoniques), des écoles, de la mairie… Et il y a deux ans, un slogan est apparu dans les manifestations qui a retenu mon attention : « quand tout sera privé, nous serons privés de tout ». Je ne l’ai pas inventé.

Pandémie : s’exprimer à la maison Le thème du service public a résonné fortement pendant la pandémie de covid-19, une situation qui, dans de nombreuses régions du monde, a mis en évidence les faiblesses du service de santé publique. La France ne fait pas exception à la règle, et Paris-Clavel décide de réunir en une seule image la revendication du service public et le slogan qui résonne dans les marches et qui lui est resté en tête. « Pendant la pandémie et pour soutenir les hôpitaux publics, j’ai partagé le design (de Vive le service public) sur plusieurs feuilles A4 (la taille d’une feuille de papier) afin que les gens puissent imprimer le message chez eux et le coller sur leurs fenêtres. (A une époque où il n’était pas possible de sortir dans les rues à cause de la pandémie), il s’agissait de soutenir la lutte des infirmières et des hôpitaux publics en France. Il est devenu très populaire. Je ne parlerais pas de « succès » parce que je n’aime pas ce mot, mais il s’est imposé. Puis j’en ai fait un poster. Pour moi, l’origine et la destination, le contexte et les circonstances d’une image sont importants », explique M. Paris-Clavel, qui ne se considère pas comme un artiste mais comme un artisan graphique. 

L’image comme questionnement L’œuvre de Paris-Clavel et les questions sociales qu’elle aborde sont si vastes qu’il n’y a guère de manifestation ou de ville en France sans une de ses images. Un autre de ses dessins réappropriés par le peuple est Rêve général, qui fait un jeu de mots avec « Grève générale », une affiche commune aux récentes – et constantes – grèves françaises. Il a également des œuvres qui sont utilisées dans les marches féministes. Elle a réalisé un dessin où un clitoris ressemble au bonnet phrygien porté par Marianne, l’allégorie qui symbolise en France la devise de cette république (« liberté, égalité, fraternité ») accompagnée du slogan « Mon corps, mon choix ». Ces images, ainsi que l’emballage auto-imprimé de Vive le service public et d’autres de ses graphiques portant sur les questions de santé, l’impôt sur la fortune, les vaccins universels anti-covirus, entre autres, sont visibles sur son site web. http://www.gerardparisclavel.fr/

On peut voir vos œuvres dans les rues, lors de manifestations, aux fenêtres des maisons… Pourquoi est-il important que vos créations plaisent aux piétons, aux personnes qui passent et regardent vos œuvres ? – Pour moi, une œuvre de création doit participer à des questions. De nos jours, ce que nous appelons communication ne veut que montrer les événements, et non les remettre en question. (…) Les échanges sont trop rapides et le spectateur ne peut pas décrire une image pour essayer de la comprendre, elle s’impose à lui, il passe son temps à glisser des images. (…) J’ai une pratique politique de mon travail : je veux créer des collectifs, questionner et partager des connaissances. Je dis toujours une chose grossière et je ne sais pas si on peut la traduire en mexicain, mais c’est quand même intéressant : pour moi communiquer c’est niquer (communiquer, c’est se déchaîner). Informer, c’est former. Dans le mot information, il y a formation : partage des connaissances.

Exposition-manifestation L’affiche publique Vive le service fait partie d’une « exposition-manifestation » qui, du 15 octobre au 27 février 2022, présente des œuvres de Paris-Clavel (sérigraphie, offset et numérique) au Musée de la Printemps et de la Communication Graphique à Lyon. L’exposition porte un nom simple : Avec. L’intention de Paris-Clavel d’exposer et en même temps d'(in)éduquer à son travail se manifeste également dans la « promotion » même qu’il a décidé de faire de son exposition au musée de Lyon : quatre affiches (une sur l’argent, une sur l’égalité entre les femmes et les hommes, une autre sur la ville et une sur le service public) ont été distribuées dans la ville française, mais sans aucune note explicative sur celles-ci, sans aucune référence à l’exposition, au musée ou à l’auteur. Seulement les posters et leur message original.

Pourquoi avez-vous décidé d’installer les images de cette manière à Lyon dans le cadre de votre exposition dans cette ville ? Parce qu’il permet aux gens de ressentir une émotion. En général, les images dans la ville donnent des réponses avant que les personnes qui les voient aient eu l’occasion de les remettre en question. Je n’aime pas m’exposer, j’aime me manifester. Si je fais une affiche pour l’exposition, ce sera pour promouvoir le musée, qui n’a pas besoin de moi pour cela. J’ai proposé cette idée et elle a été acceptée par le musée et par le gouvernement de la ville (Lyon est gouvernée depuis juillet 2020 par le Parti vert français, EÉLV).

Le titre de votre exposition est intéressant : Avec. Pourquoi ce titre et « avec » qui ? -En règle générale, il est « avec » le monde. Ma philosophie n’est pas la version américaine de l’équité, où chacun est responsable de lui-même, mais plutôt l’égalité à la française, issue de la Révolution. C’est-à-dire la responsabilité collective. Nous vivons en collectivité. Si nous comprenons cela, nous comprendrons que nous devons exprimer autant que possible notre singularité afin de nourrir un collectif de grande qualité. Si nous cherchons uniquement à travailler sur notre individualité, nous construirons un communautarisme étroit et c’est précisément la pensée du capital qui nous fait croire qu’il est très progressiste de s’enfermer dans un système individuel. Dans mon travail, le mot « avec » est fondamental : ….. Le service public peut être exercé par des entités privées (lorsque l’entreprise qui l’exerce est soumise à la supervision et au contrôle de l’État) mais le postulat du public revendiqué par Paris-Clavel va plus loin : le privé se réduit au profit et au revenu alors que le public doit toujours voir beaucoup plus loin.

Pensez-vous qu’il est nécessaire pour un fonctionnaire d’avoir une position politique définie ? -La politique est la mise en œuvre de la vie collective. Si la politique est perçue comme quelque chose de négatif, c’est parce qu’elle est mal comprise et mal interprétée. Cela crée donc une dépolitisation et les gens n’y croient pas parce qu’elle est représentée par des technocrates et des menteurs. Il perd son nécessaire sens populaire… Bien sûr, un fonctionnaire doit avoir une idéologie. De manière impérative, je crois qu’un fonctionnaire doit être formé à une conscience civique et politique du monde. Sans cela, il devient un fonctionnaire froid et caricatural. (…) Je crois que le fonctionnaire doit avoir une conscience du monde pour pouvoir bien faire son travail, sinon il ne sera qu’un administrateur, il ne pourra pas s’ancrer dans un collectif humain et social. « Nous devons donner un sens au service public. Et par donner du sens, j’entends un projet de vie sociale, qu’il soit idéologique ou politique. Et il est nécessaire de la partager avec tous les citoyens pour qu’ils aient un but dans la vie. Il n’est pas possible de travailler uniquement pour réparer les malheurs. Ensemble, nous devons avoir un projet joyeux à construire, et ce projet doit être organisé dans certaines conditions.

Privatiser la France La France, comme le reste du monde, a connu une forte politique de privatisation au cours des dernières décennies. Son président sortant, Emmanuel Macron, poursuit dans cette voie. Une partie de sa politique néolibérale, la plus forte depuis 10 ans, est inscrite dans la loi Pacte (pacte, et acronyme de Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) que le gouvernement a promulguée en 2019 afin de baisser la dette publique et de mettre le produit des ventes de l’État au service de « l’innovation technologique ». « L’État n’a pas vocation à diriger des entreprises compétitives, les actionnaires ont les compétences et le savoir-faire pour le faire mieux », avait déclaré à l’époque le ministre français de l’économie et des finances Bruno Le Maire pour défendre la loi d’initiative de l’époque. Pour Macron, c’est la marque économique de la maison : l’État ne doit gérer et superviser que ce que le capital privé contrôle et possède. L’administration française actuelle a réduit la participation de l’État dans l’opérateur de jeux d’argent (La Française des Jeux) et dans l’industrie du gaz (Engie). Son programme de libéralisation concerne également les chemins de fer, l’électricité, les aéroports… Mais les résistances qu’il suscite constituent un obstacle majeur à l’achèvement des réformes dans le sens souhaité par Macron. L’annonce de la vente des parts publiques des aéroports parisiens (y compris les terminaux de Charles de Gaulle et d’Orly, dont un peu plus de la moitié des parts totales sont actuellement entre les mains de l’État) a suscité une forte opposition, même générale : toutes les forces politiques françaises de droite et de gauche (insoumis, Verts, droite gaulliste, communistes, socialistes et même partisans de Marine Le Pen) ont proposé d’organiser une consultation citoyenne sur la question, à l’exception de La République en Marche (le parti du président) et du Mouvement démocratique. Face à la pandémie de Covid-19 et à la forte baisse de l’activité aéroportuaire qui s’en est suivie, le projet de vente a depuis été mis de côté. La pandémie elle-même a montré les ravages de la privatisation des soins de santé publics, avec un manque de fournitures, un manque de personnel et des preuves d’une structure hospitalière inadéquate. Un récent rapport du groupe de recherche Corporate Europe Observatory, basé à Bruxelles (Belgique), qui vise à étudier les pressions exercées par le lobby des entreprises sur les politiques publiques européennes, ne mâche pas ses mots : « Les réformes néolibérales qui affaiblissent les systèmes de santé publique sont en partie le résultat des pressions politiques exercées par l’Union européenne ». De même que la France – comme le reste du monde – a entamé sa phase de privatisation dans les années 1980, le monde entier vit actuellement un débat de plus en plus constant : la revendication du secteur public face aux intérêts privés. C’est une question d’actualité qui se dessine déjà pour les futurs débats de la campagne présidentielle française à l’horizon 2022. Il s’agira des aéroports, du secteur de la santé, des routes. L’énergie ne sera pas en reste, surtout au vu de la crise que traverse le continent dans ce domaine (avec un accent particulier sur l’Espagne) : d’un côté, des voix s’élèvent pour parler de la « renationalisation » du gaz et de l’électricité en 2021, date du 75e anniversaire du décret français déclarant ces biens publics, tandis que dans le même temps, le gouvernement de Macron envisage d’autres plans : dans le but de « rendre l’économie plus efficace », il cherche à réduire la participation de l’État dans l’électricité et le gaz naturel avec les plans Hercule et Clamadieu. Le candidat Macron, qui s’est présenté lors de la dernière campagne présidentielle comme un homme politique « ni de gauche ni de droite », est pour Paris-Clavel un déguisement qui s’effondre par le simple fait de s’informer : « Les gens politiquement informés savent que Macron est de droite. C’est le banquier des riches, il ne vient pas des quartiers difficiles de Marseille. C’est un bourgeois au service des riches, une marionnette du grand capital.

-Quel est l’état actuel du service public en France ? -C’est catastrophique. Nous en avons pris conscience lors de la gestion de la pandémie : il n’y avait pas de masques, pas de gel antibactérien, pas de vaccinations, nous manquions de lits, la formation des médecins est déficiente. Le capital s’intéresse aux performances et veut imposer le modèle commercial au service public. Et nous constatons chaque jour que ce modèle a des effets pervers sur le service public. « La déficience du service public est délibérée pour que l’on puisse dire que le privé est meilleur. Vous allez dans un centre de sécurité sociale et les chaises sont cassées, ce n’est pas un environnement agréable, c’est un endroit sinistre, pas agréable du tout. D’une part, ils nous montrent les joies de la consommation privée, et d’autre part, ils font paraître tristes et malvenus les droits acquis dans le service public. Et ils vous font croire que les entreprises sont le modèle de la démocratie, mais elles ne le sont pas ».

Que pensez-vous des personnes qui affirment que le travail créatif et artistique devrait être apolitique, plus introspectif et abstrait et laisser « la politique aux politiciens » ? -Il y a évidemment ce mythe de l’artiste avant tout, mais c’est une façon un peu naïve de penser, car le politique est l’ancrage d’une personne dans le monde. Chaque acte a des conséquences politiques. C’est pourquoi je ne prétends pas être un artiste mais un artisan graphique. C’est-à-dire que je donne une dimension sociale à mon travail. Je ratifie la décision du contexte et des circonstances de l’exercice de ma profession. Nous faisons partie d’une société. (Être apolitique) serait de contempler la politique comme le monde des politicards, mais, hé, la politique est simplement le collectif social, le citoyen est celui qui participe au conflit social, pas celui qui est seulement spectateur. Les initiatives de nombreux pays et gouvernements autoritaires pour dépolitiser les choses aident ainsi à les privatiser. Le service public en France n’a jamais été un droit acquis mais un droit conquis. Le grand combat du secteur privé est de monopoliser et dedominer tout. Et quand cela arrivera, nous serons privés de tout. 

« Soyons responsables, amusons-nous ». Pour Gérard Paris-Clavel, il est indéniable que nous vivons dans un monde où deux grands projets s’affrontent : celui du capital et celui du public. Dans ce combat politique, il estime qu’il est essentiel de retrouver la joie de la collectivité. « J’ai un dicton : ‘on ne peut pas dénoncer le malheur sans montrer la part de joie perdue que ce malheur implique’. Si nous ne sommes que résistants au malheur et partisans de rien, nous ne pourrons pas construire, nous serons toujours dans le mortifère, dans la fatalité. Nous devons cesser d’être uniquement dans une position défensive. »  » (Le sociologue français Pierre) Bourdieu s’est demandé quelle forme donner aux luttes politiques aujourd’hui. Il est nécessaire de construire un nouvel imaginaire qui offre des perspectives satisfaisantes pour nos vies, mais si nous ne faisons que résister au malheur, c’est difficile. Les gens deviennent horriblement déprimés. J’ai donc trouvé un slogan amusant : « Soyons responsables, amusons-nous ».

Iván Cadín

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